Saravah

Saravah
C'est à bord de ce joli bateau que nous effectuons notre traversée du Pacifique

lundi 27 février 2012

Pris dans les filets

23 février. 23h15. Cap au Sud, on longe la côte équatorienne.

Cauchemar dans la pénombre. D'Est en Ouest, se trouve une ligne éternelle de points lumineux s'illuminant à fur et à mesure que nous approchons, nous indiquant ainsi la présence d'une cinquantaine de bateaux de pêche, tous alignés les uns aux autres, ayant comme traits d'union leurs filets bien tendus d'une longueur d’environs un kilomètre chacun. Faite le calcul.

Un mur se dresse devant nous. C'est une immense toile d'araignée conçue pour capturer une quantité impressionnante de poissons exotiques, mais qui déteste les gros poissons en acier de dix tonnes de notre genre. Trop près pour tenter de contourner quoi que ce soit... on fonce dans le tas. On vise un espace noir, on vise un filet. C'est encore mieux que de viser un bateau de pêche! Non?

Apparemment ce n'est pas ce que les pêcheurs pensent. Ils nous font des signes, hurlent dans notre direction et nous fonce dessus avec leurs moteurs soixante-dix forces. Ils nous auraient tiré dessus avec des mitrailleuses qu'on auraient pas plus été surpris. Ils nous disent de contourner, d'aller là bas, puis là et là... personnes ne s'entends sur la direction à prendre. Trop tard, le courant nous pousse dans les mailles. Laurent tente de leur faire comprendre que c'est un bateau à voile, pas une formule 1! C'est difficile à manoeuvrer quand il n'y a pas de vent et que le moteur est au neutre (pour éviter que les hélices se prennent dans le filet).

C'est à ce moment que je me réveille. L'écho d'une forte engueulade me parvient aux oreilles et m'extirpe d'un sommeil étonnamment profond. Sur le pont, Laurent est en train de remettre à sa place, d'un ton plutôt agressif, quatre pêcheurs équatoriens qui possèdent le filet de pêche dans lequel nous nous sommes empêtrés. Je sors de ma couchette, jette un rapide coup d'oeil à l'extérieur du cockpit. Nous venons de passer, in extremis, ce mur de mailles.

Cette première rencontre marquera donc le début d'une suite interminable de conflits, de détours, de nuits blanches et de manoeuvres dangereuses. En deux jours à peine, nous avons percuté sept filets, coupé trois d'entre eux et contourné une autre dizaines en cour de route.

Le problème avec les filets de pêche est que, plus souvent qu'autrement, la ligne flottante reste coincée entre la quille et le safran du bateau. Pire encore, s'il reste coincé dans l'hélice qui est en marche, le coincement peut être assez violent pour arracher l'arbre de l'hélice et ainsi faire un énorme trou dans la coque. Qui dit gros trou dit sombrer et abandonner le navire. Voici donc les options envisageables en cas de contact avec un filet:

-Soit on utilise ce qu'on appelle une gaffe, tige plus ou moins longue, servant à attraper les bouées et/ou autres objets flottants, et on s'en sert pour abaisser la ligne et tenter de la faire passer sous le safran qui se situe complètement à l'arrière du bateau. Bonne chance, ça marche à peu près jamais si la gaffe n'est pas assez longue.
-Soit on coupe le filet. Sachez que c'est une option que l'on déteste. Nous sommes bien conscients que nous brisons du matériel qui sert à nourrir la bouche de bien des familles colombiennes et équatoriennes. Mais parfois, c'est une option envisageable.
-Soit on plonge. Dernière option valable car, en pleine mer, avec du courant puissant, la houle capricieuse, en pleine nuit de surcroît, pas besoin de vous dire que c'est dangereux. Un homme pourrait se coincer lui-même dans les filets et y rester coincé. Une noyade est envisageable.

Malheureusement, Laurent a dû effectuer cette troisième manoeuvre au cours de cette même nuit.

Le topo: une nuit noire, une averse persistante, un gros méchant filet coincé dans l'hélice, quatre pêcheurs nous fusillant du regard et peu de temps pour réagir. Soit on coupe l’immense filet sous les yeux des propriétaires incrédules, soit on plonge et tente le tout pour le tout... option nécessaire puisqu'il aurait fallut plonger de toute façon pour dégager le reste des mailles coincées dans l'hélice. Laurent ne perd pas de temps. Il se déshabille, enfile un masque de plongée, prend une lampe torche étanche et saisi la corde que je lui temps en guise d'amarre de sécurité. L'adrénaline monte, le silence règne pendant que Laurent se trouve sous l'eau à proximité du "fish catcher". Il émerge de l'eau une première fois, et confirme que le filet est bien pris dans l'hélice. Il prend une bonne respiration et plonge à nouveau. Cette fois c'est la bonne, il n'a pas envie d'y passer la nuit. Je ne sais avec quelle force il réussit à déprendre les mailles, avec tout ce courant, mais il y parvînt. Il réapparaît, sain et sauf. Il cri aux pêcheurs: "esta fuera, esta fuera" et remonte à bord de Saravah. Tout le monde a eu chaud. Laurent pénètre dans le cockpit enragé d'avoir eu à effectuer cette manoeuvre dans de telles conditions. Il décompresse. Saisi la première bouteille de rhum qui lui tombe sous la mains, en prend une gorgée au goulot, et part à rire. On l'a échappé bel mes amis!

Au moment où je vous écris, nous sommes en sécurité, au coeur d'une charmante ville côtière en Équateur, à boire du jus de fraises fraîchement pressées et à manger des croissants chauds. Comme quoi il y a toujours un calme après la tempête.. et on en profite sans retenue croyez-moi.

2 commentaires:

  1. Allo Elsa,

    Quel blog intéressant !
    Une fois la lecture commencée, je ne pouvais plus m'arrêter de lire!
    La nouvelle photo en "page couverture" est très bien choisie.

    Bravo à Laurent qui a fait tout ce qui était possible pour réduire les dommages aux filets. J'en connais plus d'un qui auraient vite sorti leur Opinel. Belle conscience sociale !
    En capitaine expérimenté, il connaissait sûrement ces petits couteaux peu coûteux qui se fixent en permanence au moyeu de l'hélice pour réduire en pièces les filets et cordages.
    Il a choisi de ne pas en installer et je suis certain que les pêcheurs - malgré leurs cris - ont bien apprécié.

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  2. Salut Georges

    Effectivement, j'ai réfléchit avant de partir de France à l'option du Coupe orin mais c'est une éventuelle source de problèmes supplémentaires car parfois, le Coupe orin se désolidarise de l'axe. Mais dans ce cas, je te l'accorde, ça aurait bien servit.

    Merci pour tes commentaires! :)
    Laurent

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